• Author, Fréderic Tendeng
  • Role, BBC Afrique
  • 18 juillet 2023

Le gouvernement gambien, l’agence gambienne de contrôle des médicaments et deux sociétés sont au banc des accusés dans l’affaire des enfants morts après avoir consommé du sirop contre la toux.

Le Tribunal de grande instance de Banjul a ouvert lundi un procès crucial impliquant le gouvernement gambien et des acteurs du secteur pharmaceutique.

Le procès a été ajourné au 24 octobre 2023.

Les familles de vingt enfants décédés il y a un an, suite à la consommation d'un sirop contre la toux fabriqué en Inde, ont engagé des poursuites judiciaires.

Le fabricant indien du sirop, l'Agence gambienne de contrôle des médicaments, ainsi que l'importateur local du produit sont également visés par les plaintes.

Les plaignants réclament une indemnisation de 250 mille dollars pour chacun des enfants décédés.

Des accusations portées contre les autorités sanitaires gambiennes

Les plaignants, représentant les familles endeuillées, dénoncent des négligences et des violations des lois régissant l'importation et le contrôle des médicaments en Gambie. Ils souhaitent que le Ministère de la Santé, l'Agence de contrôle des médicaments, le fabricant indien (Maiden Pharmaceuticals) du sirop incriminé, ainsi que l'importateur à Banjul soient condamnés et tenus responsables.

"Soixante-dix, c'est un chiffre énorme. Nous avons donc besoin de justice, car les victimes étaient des enfants innocents", a déclaré Mariam Kuyateh à la BBC en octobre dernier.

Elle est la mère du petit Musa, 5 ans. Assise chez elle dans une banlieue de la plus grande ville de Gambie, Serrekunda, elle a expliqué que la maladie de son fils avait commencé par une grippe. Après avoir été ausculté par un médecin, son mari a acheté un sirop pour traiter le problème.

"Lorsque nous lui avons donné le sirop, la grippe s'est arrêtée, mais cela a entraîné un autre problème", explique Mme Kuyateh.

"Mon fils n'arrive pas à uriner."

Elle est retournée à l'hôpital et Musa a été envoyé pour un test sanguin, qui a exclu le paludisme. Il a reçu un autre traitement, qui n'a pas fonctionné, puis un cathéter a été installé, mais il n'a pas uriné.

Enfin, le petit enfant a été opéré. Il n'y a pas eu d'amélioration.

"Il n'a pas pu le faire, il est mort."

La petite Aisha, âgée de cinq mois, est une autre victime.

Sa mère, Mariam Sisawo, s'est rendue compte un matin qu'après avoir pris le sirop contre la toux, son bébé n'urinait plus.

Elle estime que le gouvernement aurait dû être plus vigilant.

"C'est une leçon pour les parents, mais la plus grande responsabilité incombe au gouvernement. Avant que des médicaments n'entrent dans le pays, ils doivent être correctement vérifiés s'ils sont propres ou non à la consommation humaine", dit-elle.

Selon l'acte d'accusation, les autorités sanitaires gambiennes auraient violé les lois du pays qui exigent une inspection et une vérification approfondie de tout médicament importé.

L'Agence nationale de contrôle et de réglementation des médicaments est pointée du doigt pour avoir failli à sa mission d'inspecter et de tester les sirops contre la toux incriminés.

De plus, le ministère de la Santé et l'Agence nationale de contrôle et de réglementation sont accusés de n'avoir pas empêché l'importation des médicaments de la firme Maiden Pharmaceuticals par son partenaire gambien, Atlantic Pharmaceuticals.

Le rôle de l'OMS et les toxines détectées

En début d’octobre de l’année dernière, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé une alerte mondiale concernant quatre marques de sirop contre la toux, indiquant qu'ils pouvaient engendrer des lésions rénales aiguës. L'OMS a réagi ainsi à la suite de rapports en provenance de la Gambie, qui faisaient état d'enfants souffrant de graves problèmes rénaux.

L'analyse en laboratoire des sirops "confirme qu'ils contiennent des quantités inacceptables de diéthylène glycol et d'éthylène glycol en tant que contaminants", selon l'agence des Nations unies chargée de la santé.

Ces substances sont généralement utilisées comme solvants industriels et agents antigel. Elles sont toxiques pour l'homme et peuvent être mortels en cas de consommation.

Les produits incriminés - Promethazine Oral Solution, Kofexmalin Baby Cough Syrup, Makoff Baby Cough Syrup et Magrip N Cold Syrup - ont été fabriqués par la société indienne, Maiden Pharmaceuticals, qui n'avait pas fourni de garanties quant à leur sécurité, avait indiqué l'OMS.

Un procès à grands enjeux

Les familles endeuillées se sont constituées parties civiles et demandent une indemnisation de 250 mille dollars pour chacun des vingt enfants décédés, en réparation des pertes tragiques subies.

Au-delà des indemnisations, ce procès soulèvera également des questions cruciales sur les possibles failles dans le système de contrôle des médicaments et les éventuels conflits d'intérêts au sein du milieu pharmaceutique en Gambie.

Au début de cette affaire, le directeur exécutif de l'Agence de contrôle des médicaments de Gambie, Markieu Janneh Kaira, avait affirmé que les contrôles portent en priorité sur les médicaments antipaludéens, les antibiotiques et les analgésiques, plutôt que sur le sirop contre la toux.

BBC News avait alors contacté l'agence pour obtenir des précisions, mais aucune réponse ne lui a été donnée.

Le président de la Gambie, Adama Barrow, avait déclaré dans un discours télévisé à la nation qu'il "ferait toute la lumière" sur les causes de cette tragédie et a annoncé la création d'un "laboratoire national de contrôle de la qualité des médicaments et de la sécurité alimentaire".

La Gambie "établira des garanties pour éliminer l'importation de médicaments de qualité inférieure", avait-il ajouté.

Le verdict de ce procès pourrait entraîner des répercussions majeures sur la régulation et la surveillance des produits pharmaceutiques dans le pays, ainsi que sur la quête de justice pour les familles endeuillées qui réclament des réponses et que les responsabilités soient établies.

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